Parmi les grandes dates qui ont marquĂ© lâhistoire maritime du Pacifique, celle du 16 aoĂ»t 1767 occupe une place singuliĂšre pour lâĂźle de Wallis. Ce jour-lĂ , un navire britannique, le HMS Dolphin, fend les eaux turquoise du Pacifique Sud. Ă sa tĂȘte, le capitaine Samuel Wallis, dĂ©jĂ connu pour ĂȘtre le premier EuropĂ©en Ă avoir accostĂ© Ă Tahiti quelques mois plus tĂŽt.
Il aperçoit alors une nouvelle terre, fertile, ceinturĂ©e de rĂ©cifs et bordĂ©e de cocotiers. Câest la premiĂšre fois que des EuropĂ©ens croisent cette Ăźle que les habitants nomment Uvea. Pourtant, lâhomme qui lui donnera son nom, ne mettra jamais pied Ă terre.
Le rĂ©cit quâil en fait, dans un style prĂ©cis et mĂ©thodique, est empreint dâĂ©merveillement, de prudence, mais aussi de tension. Des Ă©changes brefs avec les habitants, une tentative de prise de canot, un tir de mousquet⊠et la dĂ©cision de repartir. Ainsi naĂźt une contradiction profondeâŻ: Wallis "dĂ©couvre" une Ăźle quâil ne foulera jamais.
Ce tĂ©moignage, rare et prĂ©cieux, conserve toute sa force aujourdâhui. Il nous offre la possibilitĂ© de revivre, Ă travers ses propres mots, le moment exact oĂč le Capitaine Samuel Wallis aperçoit, nomme, mais ne touche pas la terre qui portera son nom.
Ce rĂ©cit nous plonge Ă©galement au cĆur de cette premiĂšre rencontre avortĂ©e â une exploration pleine de promesses, de tensions et dâincertitudes.
Entre observation minutieuse, incomprĂ©hension culturelle et prudence militaire, le capitaine du HMS Dolphin nous livre pour la mĂ©moire, une des pages fondatrices de lâhistoire dÊ»Uvea.
Voici, dans ses propres mots, le tĂ©moignage du Capitaine Wallis, tel quâil lâa consignĂ© Ă bord du Dolphin ce matin du dimanche 16 aoĂ»t 1767.
âAlors nous vimes terre au Nord ÂŒ Est et nous gouvernĂąmes dessus. A midi, nous en Ă©tions Ă trois lieues ; les terres de lâintĂ©rieur paraissaient Ă©levĂ©es, mais le bord de mer Ă©tait bas, et dâaspect agrĂ©able ; lâĂźle semblait entourĂ©e de rĂ©cifs qui sâĂ©tendaient sur deux ou trois milles dans la mer.
Alors que nous en longions le bord, couvert de cocotiers, nous vĂźmes quelques cabanes et de la fumĂ©e en plusieurs endroits. Peu aprĂšs, nous Ă©vitĂąmes un banc de rochers, pour nous rendre au cĂŽtĂ© sous le vent de lâĂźle, et en mĂȘme temps nous envoyĂąmes des bateaux pour sonder et examiner la cĂŽte. Les bateaux longĂšrent la terre de trĂšs prĂšs, et trouvĂšrent quâelle Ă©tait pleine de rochers et garnie dâarbres qui croissaient jusquâau bord de lâeau.
Ces arbres de diffĂ©rentes espĂšces ne portaient point de fruits ; il y en avait quelques-uns de trĂšs grands. Au cĂŽtĂ© de lâĂźle situĂ© sous le vent, ils trouvĂšrent des cocotiers en petit nombre ; mais ils ne virent pas une seule habitation. Ils dĂ©couvrirent quelques ruisselets qui, une fois creusĂ©s, auraient pu devenir des ruisseaux plus importants. Quelques temps aprĂšs quâils aient approchĂ© le bord, quelques pirogues vinrent Ă leur rencontre, chacune ayant Ă bord 6 Ă 8 hommes.
Ils apparurent comme des gens robustes et actifs, et Ils étaient armés de gourdins ou de grandes massues, du type de celle avec laquelle est représenté Hercule.
Ils vendirent deux dâentre elles au quartier-maĂźtre pour un clou ou deux et quelques babioles. Comme nos marins nâavaient pas vu dâanimaux, oiseaux ou autres bĂȘtes, exceptĂ© des oiseaux de mer, ils souhaitaient que les indigĂšnes les renseignent Ă ce sujet. mais ils ne purent se faire comprendre.
Nous nous aperçûmes que durant cet entretien, ils avaient lâintention de sâemparer de notre canot, car lâun des « Indiens » se saisit soudain de notre amarre et se mit Ă haler le bateau sur les rochers. Nos marins sâefforcĂšrent en vain de leur faire lĂącher prise, jusquâĂ ce quâils dĂ©chargent une volĂ©e de mousquet sous le nez de celui qui sâactivait le plus.
Il nây eut pas de blessĂ© mais le feu et le bruit de la dĂ©tonation les effrayĂšrent si fort quâils les mirent en fuite dans la plus grande prĂ©cipitation. Nos deux canots prirent le chemin du retour mais le niveau de lâeau avait baissĂ© si vite quâils eurent beaucoup de difficultĂ©s Ă regagner le navire ; quand ils parvinrent en eau profonde, ils trouvĂšrent que les rochers pointaient hors de lâeau et lâensemble du rĂ©cif, mis Ă part un certain endroit, Ă©tait maintenant Ă dĂ©couvert, balayĂ© par de grandes vagues.
Les « Indiens » se rendirent probablement compte de leur embarras, car ils rĂ©apparurent et se mirent Ă les suivre dans leurs pirogues le long du rĂ©cif jusquâĂ ce quâils parviennent Ă la passe, et les voyant alors tirĂ©s dâaffaire et se hĂątant vers le navire, ils abandonnĂšrent la partie.
Les officiers me firent lâhonneur de donner mon nom Ă cette Ăźle.â
Ainsi sâacheva, presque aussi vite quâelle avait commencĂ©, la premiĂšre rencontre entre EuropĂ©ens et habitants dÊ»Uvea. Le capitaine Samuel Wallis, sans jamais avoir foulĂ© la terre quâil venait de dĂ©couvrir, la quitta en y laissant son nom.
Pour les marins du Dolphin, lâĂ©pisode ne fut quâune escale manquĂ©e dans une longue traversĂ©e. Pour lâĂźle, il marqua lâouverture dâune nouvelle ĂšreâŻ: celle oĂč le regard extĂ©rieur commençait Ă se poser sur ses rivages.
Ce paradoxe â baptiser une terre sans lâavoir vraiment approchĂ©e â interroge encore. Ătait-ce une dĂ©couverte, ou simplement une rencontre furtiveâŻ?
Le rĂ©cit de Wallis, Ă la fois prĂ©cis et lacunaire, reste un rare tĂ©moignage de ce moment suspendu. En le relisant aujourdâhui, on mesure Ă quel point lâhistoire se tisse parfois dans les silences, les gestes esquissĂ©s, et les occasions manquĂ©es.